Ce phénomène s’explique par la fatigue décisionnelle. Notre cerveau est un gros consommateur d’énergie. Prendre des décisions exige un effort mental. Au fur et à mesure que ce stock d’énergie mentale s’épuise, les juges deviennent plus enclins à opter pour la solution demandant le moins de réflexion qui est une décision par défaut : refuser la libération. Après une pause, les juges sont reposés, donc plus ouverts à avoir plus de réflexion et donc prendre plus de décisions favorables.
La justice, souvent perçue comme objective, se montre en réalité sensible à des facteurs physiologiques et temporels. Les juges, en proie à la fatigue décisionnelle, ont tendance à favoriser le statu quo (refuser la libération) quand leurs ressources cognitives sont épuisées. Cette expérience met en évidence comment des facteurs inconscients, comme l’heure de la journée, la fatigue mentale ou la faim, peuvent affecter la prise de décision, même dans des contextes aussi critiques que la justice.
Cette expérience souligne l’importance de prendre en compte ces influences dans la compréhension et l’amélioration des processus décisionnels, en particulier dans des domaines où la rationalité est essentielle.
2. L’influence des biais cognitifs
L’influence du contexte sur la prise de décision ne s’arrête pas à l’alimentation ou à la fatigue mentale. D’autres études montrent que des biais cognitifs puissants perturbent notre jugement, même chez des professionnels expérimentés.
La prise de décision est un processus complexe qui influence tous les aspects de notre vie, des choix personnels aux décisions professionnelles. Cependant, ce processus est souvent affecté par des biais cognitifs, des distorsions systématiques dans notre façon de penser qui peuvent conduire à des jugements et des décisions irrationnelles. Comprendre ces biais est crucial pour améliorer la qualité de nos décisions.
Un petit rappel s’impose sur ce qu’est un biais cognitif. C’est une déviation systématique de la réflexion logique et rationnelle qui affecte les jugements et les décisions des personnes. Ces biais sont souvent le résultat d’une heuristique de notre cerveau cherchant à simplifier le traitement de l’information et à économiser de l’énergie, ce qui peut conduire à des erreurs de jugement.
Illustration avec le biais d’ancrage
En poursuivant dans le domaine juridique, une autre expérience a été réalisée pour démontrer que des biais cognitifs puissants peuvent perturber notre jugement, même chez des professionnels expérimentés. C’est le cas des travaux d’Englich et Mussweiler (2001)(2) dont la finalité consistait à vérifier si l’effet du biais d’ancrage jouait un rôle dans la fixation de la durée d’une peine, en examinant si les réquisitions du ministère public (qui proposent une durée de peine) peuvent influencer la décision finale du juge. Pour rappel, le biais d’ancrage est un biais cognitif où l’ancrage se produit lorsque nous nous appuyons trop fortement sur la première information que nous recevons (l’ancre) pour prendre des décisions ultérieures. Par exemple, lors de négociations salariales, le premier chiffre mentionné peut servir d’ancre et influencer toute la discussion.
L’expérience a consisté à exposer 44 jeunes juges à des scénarios fictifs avec 2 scénarios : dans l’un, le ministère public demandait une peine de 2 mois, dans l’autre, une peine de 34 mois. Les juges devaient ensuite indiquer la peine qu’ils prononceraient eux-mêmes.
Il résulte de cette expérience que la moyenne des peines prononcées était fortement influencée par la réquisition initiale : les juges exposés à la réquisition de 2 mois proposaient en moyenne 18,78 mois, contre 28,70 mois pour ceux exposés à la réquisition de 34 mois. La différence d’environ 10 mois illustre la robustesse de l’effet d’ancrage.
Il ressort que les réquisitions du ministère public agissent comme une ancre qui peuvent biaiser la décision du juge. Même chez des jeunes juges, cet effet est très marqué. La recherche montre que l’effet d’ancrage est robuste, persistant même lorsque les réquisitions sont jugées arbitraires ou peu pertinentes. La connaissance de cet effet pourrait encourager la mise en place de pratiques visant à limiter l’influence des réquisitions sur la fixation de la peine.
D’autres expériences ont eu lieu sur ce biais comme celle de Northcraft et Neale (1987)(3) qui ont montré que des agents immobiliers chevronnés surestimaient la valeur d’un bien si le prix de départ (fictif) était élevé.
Un échantillon de biais cognitifs pouvant influencer une décision
Il existe de très nombreux biais cognitif référencés (près de 250), mais citons quelques biais pour illustrer comment notre cerveau peut être induit en erreur de jugement.
- Biais de confirmation : Ce biais se manifeste lorsque nous recherchons, interprétons et mémorisons des informations de manière à confirmer nos préjugés ou hypothèses existantes. Par exemple, si nous croyons qu’une certaine stratégie de marketing est efficace, nous pouvons ignorer les preuves qui suggèrent le contraire.
- Biais de disponibilité : Ce biais se produit lorsque nous estimons la probabilité d’un événement en fonction de la facilité avec laquelle des exemples nous viennent à l’esprit. Par exemple, après avoir vu des reportages sur des accidents d’avion, nous pouvons surestimer la probabilité de mourir dans un accident d’avion.
- Biais de représentativité : Ce biais se produit lorsque nous jugeons la probabilité d’un événement en fonction de sa ressemblance avec un stéréotype ou un modèle mental. Par exemple, lorsque nous croyons qu’un candidat diplômé d’une grande école est nécessairement meilleur qu’un autre aux compétences plus adaptées, mais issu d’un parcours moins prestigieux.
- Biais de statu quo : Ce biais se produit lorsque nous avons une préférence irrationnelle pour les situations ou solutions existantes, même si des alternatives plus efficaces existent. Par exemple, si nous avons une résistance à une transformation digitale ou à un changement d’organisation interne, simplement parce que « ça a toujours été comme ça ».
- Biais de l’effet de halo : Ce biais se produit lorsque nous avons tendance à généraliser une impression positive ou négative sur une personne à l’ensemble de ses compétences. Par exemple, lorsqu’un collaborateur est réputé charismatique ou est bien habillé, nous le percevons comme plus compétent, même si ses résultats ne sont pas meilleurs.
- Biais de conformité sociale : Ce biais se produit lorsque nous avons tendance à suivre l’opinion majoritaire ou celle du groupe, même contre son propre jugement. Par exemple, dans une réunion, des collaborateurs n’expriment pas leur désaccord avec un choix stratégique risqué parce que la majorité semble l’approuver
- Biais de rétrospective : Ce biais se produit lorsque nous croyons, après coup, qu’un événement était prévisible, alors qu’il ne l’était pas. Par exemple, après l’échec d’un projet, affirmer que « c’était évident que ça allait mal tourner », ce qui déforme l’analyse des vraies causes.
Comme nous venons de le voir, les biais cognitifs peuvent avoir des conséquences significatives sur la prise de décision. Ils peuvent conduire à des erreurs de jugement, à des décisions sous-optimales et même à des échecs catastrophiques en termes opérationnels, financiers ou éthiques notamment.
Comment atténuer les biais cognitifs ?
La question qui se pose naturellement, est de savoir comment atténuer l’effet de ces biais cognitifs dans une prise de décision ?
Quatre grand réflexes sont à adopter pour les atténuer :
- Prise de conscience : La première étape pour atténuer les biais cognitifs est de les reconnaître et de comprendre comment ils peuvent affecter nos décisions. La formation et l’expérience peuvent jouer un rôle crucial dans cette prise de conscience. Avoir le réflexe, lors d’une prise décision importante, de prendre du recul et voir si consciemment, notre raisonnement n’aurait pas pris quelques raccourcis dans nos critères de choix (s’ils existent car pour une majorité de biais, cela relève de l’inconscient)
- Diversité des perspectives : Envisager différentes perspectives et opinions peut aider à réduire l’impact des biais cognitifs. La diversité dans les équipes de décision peut apporter des points de vue variés et réduire les risques de biais. Attention néanmoins, de ne pas tomber dans le biais d’autorité ou de conformité sociale, car il faut considérer que tous les avis ont la même valeur.
- Utilisation de données et des analyses : S’appuyer sur des données objectives et des analyses rigoureuses peut aider à réduire l’influence des biais cognitifs. Les outils d’analyse de données et les modèles prédictifs peuvent fournir des informations précieuses pour la prise de décision.
- Réflexion et correction : Prendre le temps de réfléchir et de réviser nos décisions peut aider à identifier et à corriger les biais cognitifs. Les techniques de réflexion critique et les revues par les pairs peuvent être utiles dans ce processus.
Les biais cognitifs sont des variables inévitables de notre processus de pensée et lors de nos prises de décision, mais en les comprenant et en prenant des mesures pour les atténuer, nous pouvons améliorer la qualité de nos décisions. La prise de conscience, la diversité des perspectives, l’utilisation de données et la réflexion critique sont des stratégies efficaces pour réduire l’impact des biais cognitifs et prendre des décisions plus éclairées et rationnelles.
3. L’influence de nos émotions
Il n’existe pas de décision qui n’intègre pas vos émotions (actuelles ou passées) ! Les émotions jouent un rôle central et souvent sous-estimé dans le processus de prise de décision. Selon différentes études en neurosciences, elles influencent à la fois sur nos réactions immédiates et sur nos jugements à long terme, en interagissant avec des régions clés du cerveau telles que l’amygdale et le cortex préfrontal. Elles agissent comme des signaux qui orientent nos choix en évaluant rapidement une situation, souvent de manière inconsciente.
Cette influence des émotions dans le décisionnel est un domaine très étudié en psychologie cognitive, sociale, et en neurosciences. Contrairement à l’idée ancienne selon laquelle les décisions rationnelles doivent être « débarrassées » des émotions, les recherches contemporaines montrent que les émotions jouent un rôle crucial et parfois bénéfique dans la prise de décision.
Pour illustrer les impacts des émotions sur les décisions, regardons quelques-unes des études sur ce sujet :
La théorie du marqueur somatique – Antonio Damasio (1994)
Antonio Damasio a révolutionné la compréhension de la prise de décision en introduisant la théorie des marqueurs somatiques. Celle-ci stipule que les émotions jouent un rôle précoce et automatique dans le tri des options disponibles. Lorsqu’une situation rappelle une expérience passée, le cerveau active une réponse corporelle (somatique) associée à cette mémoire. Cette réponse émotionnelle guide une personne vers ou contre certaines décisions, avant même que la réflexion consciente n’intervienne. Cela permet de réduire la complexité du raisonnement en éliminant rapidement les options perçues comme négatives.
Il a également réalisé une étude sur des patients atteints de lésions au cortex préfrontal ventromédian. Ils gardaient leur raisonnement intact, mais prenaient des décisions irrationnelles dans la vie réelle (incapacité à anticiper les conséquences émotionnelles). Les résultats publiés dans son livre « Descartes’ Error : Emotion, Reason, and the Human Brain »(4) suggèrent que l’absence d’émotions nuit à la prise de décision efficace.
L’effet des émotions spécifiques
Plusieurs études sur des émotions spécifiques (la peur, la joie, la tristesse) ont été réalisées. Celle de Lerner & Keltner (2000, 2001)(5) a montré que différentes émotions influencent différemment les perceptions du risque avant de prendre une décision :
- Peur : Surévaluation des risques, décisions plus prudentes
- Colère : Moins de perception du risque, décisions plus optimistes (effet proche de la peur mais dans l’autre sens)
- Tristesse : Peut mener à des choix moins rationnels ou plus « coûteux », notamment dans des contextes d’achat
Les décisions prises sous forte charge émotionnelle (colère, peur, excitation) tendent à être plus impulsives, moins délibérées.
L’affect heuristique
Une étude centrale dans l’affect heuristique a été réalisée par Slovic et al. (2002)(6). Elle a montré que les individus utilisent souvent leur sentiment global (affect) comme une heuristique rapide pour juger si quelque chose est bon ou mauvais. Si une technologie nouvelle comme l’IA « fait peur », elle est jugée comme plus risquée et moins bénéfique. Si au contraire, elle inspire des émotions positives, elle est jugée moins risquée.
L’impact narratif
De nombreuses études sous IRM fonctionnelle montrent que des structures comme l’amygdale, le striatum, et le cortex préfrontal sont activées dans des décisions influencées par l’émotion. L’étude de Tversky & Kahneman (1979)(7) a montré que les personnes prennent des décisions différentes selon les solutions possibles sont formulées en termes de pertes ou de gains en jouant un effet émotionnel sur le cadrage d’une décision.
4. Focus particulier sur l’influence des émotions sur la prise de décision en management
Nous venons de voir que les émotions jouent un rôle central dans nos prises de décisions, et souvent inconsciemment. Il en va de même dans le domaine du management. L’influence des émotions sur la prise de décision est un sujet de plus en plus étudié, notamment dans les contextes de leadership, de gestion de crise, de négociation et de trajectoire stratégique.
Voici comment les concepts évoqués précédemment peuvent s’appliquent concrètement sur 4 cas d’usages :
Sur le leadership
Les leaders dotés d’une intelligence dite émotionnelle sont capables de mieux :
- Reconnaître leurs propres émotions et celles des autres
- Réguler leurs réactions émotionnelles dans des situations stressantes
- Prendre des décisions plus équilibrées, en intégrant à la fois des données rationnelles et des signaux émotionnels
Cela contribue à favoriser un climat de confiance, une meilleure cohésion d’équipe et une résilience accrue face à l’incertitude.
Sur la prise de décision stratégique
Les décideurs doivent prendre conscience que les émotions agissent comme des filtres cognitifs influençant les décisions :
- Un dirigeant anxieux peut percevoir plus de risques et adopter une stratégie défensive
- Un dirigeant confiant ou euphorique peut sous-estimer les risques et prendre des décisions audacieuses, parfois imprudentes
Cela peut être le cas, par exemple, lors de décision stratégique comme une fusion-acquisition. Les émotions comme la peur de perdre le contrôle ou l’excitation d’un gain potentiellement important peuvent biaiser l’évaluation des synergies réelles lors de la fusion.
Sur la négociation et la gestion des conflits
Lors de négociations commerciales ou la gestion des conflits, les émotions exprimées et ressenties par les acteurs influencent fortement les dynamiques de négociation :
- La colère peut être perçue comme un signal de fermeté, mais elle peut aussi bloquer le dialogue
- La compassion ou l’empathie peuvent ouvrir la voie à des compromis plus durables
Les bons négociateurs savent utiliser les émotions comme levier stratégique, tout en gardant une posture d’écoute active pour aboutir à des décisions gagnant-gagnant.
Sur le feedback et la gestion des collaborateurs
Les émotions jouent également un rôle clé dans la manière dont les collaborateurs :
- Reçoivent et interprètent un feedback
- S’engagent dans leur travail
- Prennent des initiatives ou évitent les responsabilités
Un manager conscient de ces dynamiques émotionnelles peut adapter sa communication pour renforcer la motivation et la performance, et prendre ainsi des décisions partagées et positives pour le collaborateur et l’entreprise.
Les émotions jouent un rôle majeur dans la prise de décision, mais lorsqu’elles sont bien conscientisées et régulées, elles peuvent enrichir la réflexion et renforcer l’intuition, permettant ainsi des choix plus alignés avec les objectifs professionnels mais aussi personnels. En revanche, des émotions excessives ou mal maîtrisées peuvent altérer le jugement, renforcer les biais cognitifs (comme le biais de confirmation ou d’ancrage) et conduire à des décisions précipitées ou irrationnelles. Il est donc important de pouvoir les reconnaitre et les analyser, voire de prendre du recul avant de décider, et permettre ainsi d’éviter qu’elles ne prennent le dessus sur la rationalité.
Nos émotions sont à la fois des alliées et des ennemies dans la prise de décision. Leur influence doit être comprise et maîtrisée pour faire des choix plus éclairés, stratégiques et en accord avec ses valeurs, et celles de l’entreprise.
5. L’influence de la moralité et de nos valeurs
Nos valeurs et notre culture peuvent aussi engendrer une vulnérabilité dans nos prises de décision.
Des recherches en neuropsychologie, notamment celles de Joshua Greene (professeur de neurosciences à l’université Harvard et directeur du Cognition Lab Moral). Il est reconnu pour avoir combiné psychologie, neurosciences, éthique et philosophie afin d’étudier comment les personnes prennent des décisions morales, notamment lors de dilemmes complexes. Il a utilisé des techniques de neuro-imagerie avec l’IRM fonctionnelle pour observer l’activité cérébrale lors de la confrontation à des dilemmes moraux, ce qui lui permet d’identifier les régions du cerveau impliquées dans différents types de décisions, notamment celles liées à l’émotion ou à la délibération rationnelle(8). C’est ainsi qu’il remet en question certaines visions traditionnelles de la morale en montrant que nos choix moraux utilitaristes ou calculés (sacrifier un individu pour en sauver plusieurs) demandent plus d’effort cognitif que des choix émotionnels instinctifs.
Dans son livre « Moral Tribes »(9), il développe l’idée que la société humaine est composée de différentes « tribus morales » avec leurs propres valeurs. Il propose ainsi une propose une « théorie duale » du jugement moral :
- Notre système 1 (rapide, automatique, émotionnel) produit des intuitions morales immédiates
- Notre système 2 (lent, délibératif, logique) intervient dans les raisonnements plus complexes (proche de la dualité de Daniel Kahneman)
Il distingue deux types de conflits moraux :
- « Problèmes du moi contre nous » : gérés par nos intuitions morales évolutives : loyauté, équité…
- « Problèmes de nous contre eux » : plus complexes, nécessitant un raisonnement explicite et universel, comme le conséquentialisme (doctrine éthique selon laquelle la moralité d’une action est déterminée exclusivement par ses conséquences, en jugeant si elles favorisent le bien-être général ou produisent des résultats positifs.)
Il plaide pour un utilitarisme raisonné (théorie éthique qui considère que le bien se mesure par l’utilité ou le bonheur, en évaluant les conséquences des actions pour maximiser le bonheur du plus grand nombre), contre les intuitions morales tribales et biaisées.
Ses travaux sont aujourd’hui souvent cités dans des débats comme les décisions éthiques lors de l’utilisation de l’IA (cas des voitures autonomes face à un dilemme moral pour limiter les conséquences corporelles d‘un accident), comme le questionnement sur la fiabilité des intuitions morales dans les jugements juridiques, ou encore sur l’éclairage des tensions entre valeurs émotionnelles et décisions rationnelles dans la gestion des conflits collectifs en management.
6. Conclusion
L’exploration des différents déterminants de nos prises de décision met en lumière la complexité de notre fonctionnement psychologique et comportemental. Loin d’être purement rationnels, nos choix sont constamment influencés par des facteurs souvent inconscients mais puissants.
À l’heure où les environnements professionnels sont de plus en plus complexes et exigeants, il est temps de regarder la prise de décision managériale pour ce qu’elle est réellement : un acte profondément humain, influencé à chaque instant par notre biologie, nos émotions, nos biais cognitifs et nos valeurs. Croire que nous décidons de manière purement rationnelle est non seulement illusoire, mais potentiellement dangereux dans un monde où la complexité exige plus que des réflexes ou des automatismes.
Il est essentiel pour les décideurs et les managers de prendre conscience des multiples influences qui pèsent sur leurs décisions. Nos rythmes biologiques, souvent négligés, conditionnent nos capacités cognitives au fil de la journée. Les biais cognitifs, omniprésents, peuvent fausser notre jugement malgré notre expérience. Nos émotions, quant à elles, ne sont pas un frein à la rationalité, mais un moteur puissant de l’action, en particulier en situation de management, où elles influencent autant nos décisions que notre impact sur les autres. Sans oublier, la place centrale de la moralité et des valeurs dans nos choix qui vient nous rappeler que performance et éthique ne sont pas opposées, mais indissociables dans une vision durable du management.
Pour les décideurs et managers d’aujourd’hui, la lucidité ne consiste plus à tout contrôler, mais à mieux intégrer ces dimensions humaines dans la prise de décision. C’est, non seulement, renforcer la qualité du leadership, mais aussi la confiance, l’engagement et la cohérence au sein des équipes et de l’organisation. C’est là que réside la nouvelle forme de leadership : un leadership conscient, incarné, aligné, capable d’allier performance, éthique et intelligence émotionnelle. C’est ce type de posture qui fera la différence dans les organisations de demain.
La lucidité sur nos limites décisionnelles n’est pas un aveu de faiblesse, mais avoir une conscience active est une clé vers une société plus juste et plus consciente.
7. Références
- Danziger, S., Levav, J., & Avnaim-Pesso, L. (2011). Extraneous factors in judicial decisions.Proceedings of the National Academy of Sciences, PNAS 108(17), 6889–6892.
- Englich, B., & Mussweiler, T. (2001). Sentencing under the influence of anchoring.
- Northcraft, G. B., & Neale, M. A. (1987). Experts, amateurs, and real estate: An anchoring‑and‑adjustment perspective on property pricing decisions. Organizational Behavior and Human Decision Processes, 39(1), 84–97.
- Damasio, A. R. (1994). Descartes’ Error: Emotion, Reason, and the Human Brain. New York: Putnam Publishing.
- Lerner, J. S., & Keltner, D. (2000). Beyond valence: Toward a model of emotion-specific influences on judgement and choice. Cognition & Emotion, 14(4), 473–493.
- Slovic, P., Finucane, M. L., Peters, E., & MacGregor, D. G. (2002). The affect heuristic. In T. Gilovich, D. Griffin, & D. Kahneman (Eds.), Heuristics and biases: The psychology of intuitive judgment (pp. 397–420). Cambridge University Press.
- Tversky, A., & Kahneman, D. (1979). Prospect theory: An analysis of decision under risk. Econometrica, 47(2), 263–291.
- Greene, J. D., et al. (2001). An fMRI investigation of emotional engagement in moral judgment.
- Greene, J. D. (2013). Moral Tribes: Emotion, Reason, and the Gap Between Us and Them. Penguin Press.
8. Pour aller plus loin sur le management et les neurosciences
eMOTION CONSEIL- Bruno DELATOUCHE – 2025/06