1. Mais quel est donc ce concept du « flow » et d’où vient-il ?
Se sentir absorbé dans une activité au point d’en perdre toute notion du temps, d’appétit ou de fatigue, ou de stress ? Que ce soit à l’occasion d’une partie de tennis, d’un solo de piano ou encore d’une session d’écriture intense. Ou bien même dans un cadre professionnel, à l’occasion de la rédaction d’un rapport ou d’une présentation importante, où entièrement concentré sur la structuration des idées, la rédaction devient fluide, et cela avance rapidement. Les paragraphes s’enchaînent, et chaque élément trouve sa place de manière naturelle. Une fois terminé, plusieurs heures ont passé, alors que cela ne semblait que quelques minutes.
Ce sentiment d’immersion totale, de contrôle et de maitrise, de plaisir à faire, de fluidité est un état psychique d’engagement absolu qui porte un nom : le Flow ou « flux », en français. En faire l’expérience revient à focaliser son attention d’une façon soutenue et continuelle – qui flue et nous emporte tel le courant d’une rivière, sur l’accomplissement d’une activité comme un état de grâce.
Ce phénomène psychologique a été popularisé par le psychologue hongrois Mihály Csíkszentmihályi dans les années 1970, bien que des traces de ce concept aient existé dans diverses cultures et disciplines bien avant son théorisation, comme dans les religions et spiritualités orientales telles que le bouddhisme et le taoïsme.
Ses travaux de 1975 à 2000 ont été dirigés vers l’étude du contexte d’apparition et de la structure du plaisir en interrogeant des personnes qui ressentent ce plaisir dans la seule pratique de leur activité où la récompense intrinsèque est essentielle. La recherche et la théorisation du flow trouvent donc leurs origines dans la volonté de décrire et de comprendre ce type d’expérience lors d’une activité intrinsèquement motivée et agréable, c’est-à-dire qui trouve sa récompense en elle-même.
Ce concept de Flow a d’abord été intégré à la psychologie humaniste et à la théorie de l’autodétermination. Progressivement, il a été étudié dans divers contextes (sport, art, travail), visant à comprendre les expériences dites optimales où une personne est entièrement absorbée par une activité. Le flow se produit lorsque les compétences d’une personne et le défi d’une activité sont perçus comme étant en équilibre, et associé à une concentration intense, une clarté des objectifs, une sensation de contrôle, et une perte de conscience de soi.
Les recherches ont montré que le flow favorise non seulement le plaisir immédiat, mais aussi le développement des compétences à long terme, ou améliore son estime de soi, son bien-être. Dans le domaine du sport, le flow est essentiel pour maximiser les performances, en réduisant l’anxiété et en maintenant la concentration.
2. Comment se caractérise le Flow ?
Le Flow est un état mental d’engagement profond dans une activité, caractérisé par une concentration intense, une perte de conscience de soi et une satisfaction intrinsèque.
Voici les 10 ressentis et caractéristiques qui permettent d’identifier une situation de flow :
- L’existence d’un but stimulant, avec un défi motivant à relever ;
- Une clarté des objectifs à atteindre qui permet de savoir précisément ce qui doit être accompli, facilitant ainsi l’engagement ;
- Une concentration intense sur le temps long, avec une focalisation sur le moment présent. Les personnes en état de « flow » parlent d’attention fluide, sans effort ni stress excluant toute distraction extérieure ;
- Une distorsion de la perception temporelle, avec une perte de la notion du temps qui passe ;
- La mobilisation importante des ressources personnelles avec une sensation de contrôle et de puissance vis-à-vis de l’activité (sentiment « d’auto-efficacité ») ;
- Un plaisir intense à réaliser l’activité en cours, qui est donc pleinement source de satisfaction en elle-même. L’activité est en fait le but en soi, la motivation est dite « intrinsèque » (sans notion de récompense extérieure qu’elle soit financière, sociale ou autre…). L’activité est alors dite autotélique car en soi source de satisfaction ;
- Une implication personnelle forte, avec la sensation de ne faire qu’un avec l’action ou l’objet créé, l’impression aussi de transcender et dépasser son égo, de fusionner sa conscience et l’action ;
- L’existence d’une perte de la notion de ses besoins primaires (faim, soif, fatigue/repos, …) ;
- Un équilibre entre le défi et ses compétences personnelles, pour éviter l’ennui ou l’anxiété de ne pas pouvoir réussir ;
- La présence d’un rétroaction immédiate qui permet d’ajuster constamment ses actions selon les résultats obtenus en temps réel (comme en jouant une partie de tennis parfaite).
Il faut savoir que la notion de Flow peut concerner des formes collectives différentes :
– Un Flow individuel dans un groupe : Une personne peut expérimenter le flow au sein d’un groupe sans que les autres membres en bénéficient.
– Un Flow de groupe : Plusieurs personnes réalisant une tâche similaire peuvent expérimenter un flow simultané, bien que sans objectif commun.
– Un Flow d’équipe (« Team flow ») : Les membres d’une équipe collaborant étroitement dans une tâche partagée peuvent vivre une expérience collective de flow. Cela se manifeste par une synergie, une communication fluide, et une harmonie dans les actions, ce qui améliore considérablement la performance collective.
Le Flow collectif est particulièrement observé dans le monde du sport, de la musique mais également possible dans l’univers professionnel lorsque les conditions nécessaires sont réunies.
3. Comment atteindre un état de Flow ?
L’état de Flow intrigue de plus en plus dans les milieux professionnels et personnels. Mais comment y accéder concrètement ? Voici quelques clés pour favoriser son apparition.
Développer sa concentration et maîtriser ses objectifs
Il faut commencer par travailler sur sa capacité de concentration. Des techniques telles que la méditation, la respiration consciente ou l’entraînement cognitif peuvent grandement aider. Mais la concentration seule ne suffit pas. Il est essentiel d’avoir une vision claire de ses objectifs ou du défi à relever pour permettre d’orienter son énergie de manière efficace.
Il est fondamental d’associer ses activités à ses centres d’intérêt car l’essentiel est de « prendre du plaisir » dans ce que nous faisons. Le plaisir alimente la motivation, et c’est cette motivation intrinsèque qui nourrit l’état de flow.
Se libérer des distractions pour entrer dans la zone du flow
Toutefois, il n’est pas possible d’atteindre le flow si nous sommes continuellement interrompus : notifications, appels téléphoniques, e-mails, perturbations sonores… Pour se plonger dans un état de concentration maximale, il est important de se protéger de toutes les distractions perturbatrices, y compris des pensées négatives qui entravent la concentration.
Un environnement favorable : le secret du succès
Se libérer des distractions est important mais pas suffisant. L’environnement joue aussi un rôle essentiel pour éviter toute distraction. Il est recommandé de créer une zone « sanctuaire », où le bruit, les notifications et autres perturbations sont bannis. L’espace physique influe sur le mental. Être dans un environnement propice à la concentration et qui nous plaise facilite l’accès au flow. La musique peut aussi être un allié, à condition de choisir des morceaux répétitifs, sans paroles, et familiers. En modulant les états émotionnels, elle peut aider à entrer plus rapidement dans cet état de concentration.
Le flow, un subtil équilibre entre défi et compétence
L’état de flow repose sur un équilibre délicat et subtil entre la difficulté de l’activité et le niveau de compétence associé. Si l’activité est trop simple, l’ennui s’installe ; trop complexe, elle génère frustration et stress. Trouver cet équilibre permet de garder le cerveau engagé, ce qui est fondamental pour atteindre ce niveau de concentration. Il faut habituer son cerveau à l’activité car le flow demande un lâcher-prise que le cerveau ne peut atteindre que lorsqu’il a développé certains automatismes. À l’image des pratiquants d’arts martiaux qui répètent un mouvement des centaines de fois pour développer un réflexe inconscient, ces automatismes ne peuvent être atteints que par un véritable entraînement. Il faut noter que même les activités routinières peuvent générer du flow en y ajoutant un défi, comme trouver une nouvelle approche ou augmenter la vitesse d’exécution.
Le flow contribue au bien-être personnel, mais il est aussi clé dans le monde professionnel. Non seulement il permet d’être entièrement concentré sur une activité et donc plus productif et plus habile, mais il permet aussi de générer des idées nouvelles, et de sortir des sentiers battus : « La qualité de l’état de flow, c’est qu’il nous permet de prendre des risques et donc de sortir de la pensée conventionnelle, de perdre l’attachement au statu quo, au confort. Dans ces états, on a davantage accès à notre potentiel créatif », explique Samah Karaki, neuroscientifique et co-fondatrice du Social Brain Institute.
Créer des expériences optimales, en solo ou en équipe
Le flow n’est pas réservé aux activités solitaires. En équipe, il se manifeste sous forme de coopération fluide autour d’un objectif commun, où chacun est focalisé sur sa contribution. C’est une forme d’interdépendance positive qui se traduit par une efficacité collective.
Dans le cadre professionnel, plusieurs stratégies peuvent faciliter l’apparition du flow : créer des défis collectifs, décloisonner les espaces de travail, introduire des moments de surprise dans les réunions, ou encore encourager la collaboration entre profils diversifiés. Créer des environnements stimulants amplifie la créativité et la motivation.
En accompagnant une personne dans la clarification de ses objectifs, le développement de ses compétences et la gestion de ses émotions, le coaching professionnel peut également jouer un rôle clé dans l’atteinte du flow. Il aide à créer les conditions idéales pour que la concentration, la motivation et la performance atteignent leur sommet, transformant ainsi l’expérience professionnelle en une quête plus fluide et enrichissante.
4. Quels bénéfices tirer d’un état de Flow ?
Le Flow, appelé aussi « expérience optimale » est un état psychologique qui est recherché pour ses nombreux bénéfices sur la performance, la créativité, et le bien-être.
L’état de Flow améliore les performances dans divers domaines comme le sport, l’art ou le travail. Il favorise également la créativité, car il libère l’esprit des pensées parasites et permet un lâcher-prise qui encourage des solutions originales. Ceux qui vivent cet état régulièrement rapportent un niveau de bonheur et de satisfaction élevé.
Cependant, le flow n’est pas un état permanent. Sa force réside dans sa brièveté et sa capacité à pousser les personnes à se dépasser, notamment en sortant de leur zone de confort. Les athlètes de haut niveau en témoignent : le flow, aussi appelé « la zone », survient lors de défis où leurs compétences sont pleinement mobilisées, leur permettant d’atteindre des performances exceptionnelles.
Dans le domaine sportif, le flow est particulièrement recherché car il est associé aux moments de performance optimale. Les athlètes décrivent cet état comme un moment de concentration extrême, où les mouvements deviennent automatiques, favorisant des résultats exceptionnels. Ce concept est clé pour comprendre comment les athlètes atteignent leurs meilleurs niveaux, surtout dans des compétitions où l’adversité est équilibrée ou légèrement supérieure.
En somme, le flow, bien que ponctuel et difficile à contrôler, est un état psychologique essentiel pour quiconque cherche à améliorer ses compétences et à vivre des expériences enrichissantes.
5. Le Flow se mesure-t-il ?
Le Flow, en tant qu’état psychologique complexe, nécessite des approches spécifiques pour être mesuré, car il implique des aspects instables et subjectifs. Plusieurs instruments ont été développés pour évaluer cet état, comme des entretiens qualitatifs, des questionnaires et de l’échantillonnage d’expériences comme avec la méthode ESM (Experience Sampling Method) qui consiste à demander à une personne de remplir un bref questionnaire lorsque la sonnerie d’un appareil retentit, afin de capturer son état psychologique à différents moments. Toutefois, cette méthode peut être intrusive, en particulier dans le domaine sportif, car elle risque d’interrompre l’état de flow.
D’autres méthodes sont apparues, notamment dans le domaine sportif comme celles développées par Jackson et Marsh (1996). Ces questionnaires incluent des dimensions telles que la concentration, le défi ou la perte de la notion du temps. Dans ce même domaine du sport, un questionnaire majeur est le Flow State Scale (FSS) qui mesure l’état de flow sur 9 dimensions et 36 items. Ce questionnaire a évolué pour donner naissance au Flow State Scale-2 (FSS-2), ainsi qu’à une version française, le FSS-2FR, utilisée en Europe et au Canada.
En parallèle, des échelles spécifiques comme le Flow Trait Scale (ou Dispositional Flow Scale – DFS) ont été créées pour évaluer les traits de personnalité qui rendent certaines personnes plus susceptibles d’entrer en état de flow.
En résumé, ces outils permettent aux chercheurs d’évaluer l’expérience du flow dans différents contextes (travail, sport, loisirs), même si des défis méthodologiques subsistent pour mesurer cet état de manière précise et non intrusive.
6. Que se passe-t-il dans le cerveau en état de Flow ?
En état de Flow, le cerveau ralentit certaines de ses activités, notamment les ondes cérébrales, ce qui permet une concentration accrue et une meilleure circulation des informations. Le cortex préfrontal, responsable de la prise de décisions complexes et de la conscience de soi, diminue son activité. Cela favorise l’émergence de nouvelles connexions créatives en libérant les processus de réflexion des freins habituels, comme l’autocritique ou la conscience du temps.
Le flow représente un état « d’attention sans effort » où le cerveau ne subit pas les conflits habituels des différentes aires cérébrales, qui tentent d’évaluer en permanence l’intérêt et l’importance des distractions dans les prises de décision du cerveau. Habituellement, des systèmes comme l’amygdale ou l’hippocampe traitent les informations en fonction de nos expériences passées, alors que le cortex préfrontal prend des décisions en fonction des objectifs futurs. En état de flow, ces luttes sont temporairement suspendues, ce qui permet une concentration optimale. Ces deux processus cognitifs sont dits « antagonistes » car ils mobilisent les mêmes régions cérébrales, en particulier le même réseau de l’attention, et expliquent pourquoi en temps normal, il n’est pas possible de réaliser (exactement) en même temps deux activités qui demandent d’être attentif. En conséquence, il n’est pas étonnant que l’état de Flow, en tant qu’état d’attention sans effort, ni conflit, ni stress, soit si recherché et valorisé.
Sur le plan neurophysiologique, le flow entraîne la libération d’un cocktail d’hormones qui boostent le plaisir, la mémorisation, la rapidité de traitement de l’information et la motivation. Cela améliore la concentration, l’estime de soi et les capacités d’adaptation à l’activité concernée. Voici les principales :
- L’endorphine procure du plaisir, grâce à une action anxiolytique, antalgique et relaxante
- La sérotonine, souvent appelée « hormone du bonheur »
- La dopamine, l’hormone du plaisir immédiat
- L’anandamide qui est une molécule similaire au THC du cannabis
- La norépinéphrine qui, au niveau du cerveau, fait partie des hormones libérées lors d’un stress, et qui intervient également dans le circuit de la récompense, de l’apprentissage, de la mémorisation, de la concentration et de l’attention
Bien que le flow puisse sembler magique, ses mécanismes ne sont pas encore entièrement compris par les chercheurs.
7. Cultiver son état de flow : un atout pour la performance et le bien-être
Pour conclure, l’état de Flow, bien que difficile à saisir, a la capacité de transformer profondément notre façon de travailler et de vivre nos activités quotidiennes. Ce concept, mis en lumière par le psychologue Mihály Csíkszentmihályi, décrit un état d’immersion totale dans une activité, où le temps semble disparaître et où l’effort devient presque imperceptible. Il s’agit d’une expérience à la fois gratifiante et productive, mais qui ne s’atteint pas par hasard. Il se produit lorsqu’il y a un équilibre subtil entre les compétences personnelles et les défis à relever. Pour favoriser son apparition, il est nécessaire de pratiquer régulièrement, de mieux se connaître et de créer des conditions propices à une concentration optimale. Cet état psychique améliore non seulement les performances, mais contribue également au bien-être et à l’épanouissement personnel. C’est pourquoi de plus en plus de personnes cherchent à le cultiver, aussi bien pour des raisons personnelles que professionnelles.
En fait, cet état peut être vu comme un « cercle vertueux » : plus il s’expérimente, plus notre capacité à être productif, créatif et satisfait dans nos activités quotidiennes en sort renforcée.
Le flow est un état accessible à tous, dans une multitude d’activités, qu’il s’agisse de tâches professionnelles, d’activités créatives ou de loisirs. Ses bénéfices vont au-delà de la satisfaction immédiate. Il donne un sens plus profond à notre existence, renforce la confiance en soi et améliore l’estime de soi.
Chercher à atteindre le Flow est un investissement personnel important, qui améliore non seulement les performances, mais aussi la qualité de vie. Contrairement à l’idée que le bien-être dépend de facteurs externes comme les possessions matérielles, c’est l’expérience vécue et la perception de soi qui comptent. C’est un outil puissant pour donner du sens à nos actions et renforcer notre épanouissement.